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Je viens de terminer, avec mon chien, notre dernière boîte de conserves. C'était
du cassoulet : les haricots froids pour moi, les saucisses froides pour lui. Dégueulasse.

Théoriquement il n'y a plus qu'à attendre. Quinze jours ? Trente jours ? Soixante jours
peut-être : il nous reste de l'eau à profusion, ce n'est pas la soif qui nous aura. Je
dis jours parce que compter en semaines ou en mois me paraîtrait une incongruité
absolue.

Il n'y a plus qu'à attendre. Théoriquement. Car il nous reste aussi une cartouche. Je
pourrais abattre mon chien et le manger. Mais je suis à peu près sûr (du moins ici
et maintenant) que je n'y arriverais pas à le manger. Alors ce serait absurde de le
tuer.

Je pourrais aussi me suicider. Ce serait plus logique, parce que si à moi mon chien, maigre
comme il est devenu, me ferait à peine une dizaine de jours, à lui j'en ferais bien
trois ou quatre fois plus. Mais je suis à peu près sûr que ce con-là
refuserait de me bouffer.

Alors on va attendre. On va se coucher l'un contre l'autre, pour mêler nos chaleurs, et on
va attendre en rêvant à un monde avec un soleil et où toutes les femmes et toutes
les chiennes sont aimables.

À tout hasard je garderai le fusil à portée de main. Des fois que mon chien, la
faim et l'instinct aidant... Mais je ne sais pas sur qui je tirerai. On verra le moment venu.
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